Coralie est née le 31 août 1988 atteinte d'une maladie
génétique rarissime, l'atrésie interne des voies biliaires. Cette forme
d'atrésie, particulièrement dévastatrice, est caractérisée par l'absence de
canaux collecteurs de la bile qui se déverse directement dans le sang, donnant
un important ictère, des selles blanches et ce teint abricot si
caractéristique. Ses parents ont su très tôt que la seule chance de survie de
leur enfant résidait dans une greffe du foie. Mais
il fallait que Coralie atteigne le poids fatidique de 10 kg au-dessous duquel, à
l'époque, la greffe n'était pas envisageable. La course d'obstacles, la
course contre la montre, en un mot, le calvaire de cette famille venait de
commencer. Les instants privilégiés de contact mère-enfant que sont les
tétées ont pris la forme douloureuse et froide d'un gavage de lait prédigéré par
intubage direct dans l'estomac. Il fallut des mois avant que la petite
accepte de se nourrir à peu près normalement. Encore fallait-il, à chaque perte
de poids, reprendre l'interminable cérémonial du goutte à goutte après
introduction de la sonde nasale. Ajoutez à cela les
pleurs à longueur de jours, à longueur de nuits, d'une enfant dévorée de
démangeaisons sur tout le corps. Ses parents ignoraient la cause de ces pleurs.
S'ils l'avaient su, ils auraient peut-être pu soulager la brûlure de ce terrible
prurit par des massages et rendre le sommeil à l'enfant...! Où l'amour va-t-il
puiser sa force pour barrer la route au désespoir et au
ressentiment...? L'acquisition du langage permet enfin le dialogue, et si la
galère continue, du moins peut-on l'apprivoiser par des mots. Si Coralie a vécu
assez longtemps pour être transplantée, c'est grâce à son courage, à l'amour de
ses parents et aux soins vigilants de son hépatologue, Bruno [)escos. Quel
courage, en effet, faut-il à un si jeune enfant pour endurer et accepter ces
examens agressifs que connaissent et redoutent les transplantés adultes...
! Sa maman, qui était infirmière libérale, a su partager ses angoisses sans
lui enlever la force de les affronter. Elle ne lui a jamais menti. Coralie a
ainsi transformé la souffrance en courage et la violence en volonté. Cette
petite fille, à qui on a volé son enfance, a appris à se battre. Puis vint le
moment où la greffe ne pouvait plus être retardée sans danger pour la survie de
Coralie. Heureusement la petite avait dépassé le poids requis. L'attente du
greffon a été pour les parents un moment très difficile. Ne leur parlez plus de
ces bips que la moindre interférence fait clignoter. Heureusement les amis
étaient là, car bizarrement, comme pour de nombreux greffés, la famille n'a pas
été vraiment présente. Une réserve faite de gêne et d'incompréhension peut-être,
de peur sûrement... Pour dédramatiser l'attente et permettre à Coralie de
mimer l'extraordinaire opération qu'elle allait subir, sa maman lui a
confectionné une poupée en kit, une poupée en chiffons dont on pouvait ouvrir le
ventre en tissus, sortir et remettre les petits organes en miniature. Enfin
vint le jour tant attendu, tant redouté... Un immense soulagement avec cette
angoisse tapie comme un fauve qu'il faut dompter. Et le silence tout à coup, un
grand silence intérieur. . . ...Accompagner jusqu'à la porte du bloc son
enfant qui étreint sa dérisoire petite poupée et qui, au moment de se séparer,
lâche tout et vous lance par défi et comme pour vous rassurer : "Maman, je suis
forte"... Ces moments-là, la maman de Coralie ne les oubliera jamais. Elle
fait partie. comme les autres parents d'enfants transplantés, de ces greffés
dont la cicatrice est Invisible à l'oeil nu mais qui brûle au-dedans. Il faut
aussi parler de la suite : - du délire et de l'agitation d'une petite fille
intubée qu'il fallait attacher à son lit, - des transaminases qui montent
soudain à 6 000 et de l'affreux doute qui vous étreint, - de la prostration
totale enfin, incompréhensible, interminable, désespérante.
Et puis, un beau matin...une petite voix qui vous accueille : "Bonjour,
Maman", comme si rien, absolument rien ne s'était passé.... Une petite fille
émergeait à la vie, qui avait perdu ses yeux jaunes et son teint abricot, une
petite fille chaque jour plus vivante et plus gale. Une Coralie
transfigurée.
Dans ses rêves, elle a donné le prénom de Sarah à la petite fille qui lui a
donné son foie et rendu la vie. Plus tard elle apprendra la beauté dramatique de
ce don de vie. Quant à la maman, cette expérience a fait basculer sa vie.
Elle a cessé d'exercer son métier d'infirmière en libéral pour entrer à
l'hôpital, exprimant ainsi sa reconnaissance et son désir de soulager, elle
aussi, la souffrance des autres. Aujourd'hui, Coralie a une petite soeur.
Émouvante, sa maman nous a confié : "J'avais oublié à quel point c'est facile
d'élever un enfant." Façon élégante et pudique d'évoquer la galère qu'elle a
subie. On ne traverse pas une telle expérience sans en être modifié. Les
parents de Coralie sont pleins de projets et leur bonheur fait plaisir à voir.
Mais à quel prix ! Comment rendre aux autres enfants, aux aînés de Coralie,
le temps. la disponibilité et l'attention dont ils ont été privés...? Comment
faire en sorte que Coralie se sente une petite fille comme les autres et accepte
désormais d'être traitée comme telle après avoir été le centre de toutes les
attentions, de toutes les angoisses ? Aujourd'hui. Coralie est un curieux
mélange de fragilité et de dureté. Vigilante à son corps, elle connaît le prix
de la santé. Coralie a 8 ans, elle est entrée au CE1 et a fêté son anniversaire
le 31 août.
Mais la date indélébile, le véritable
anniversaire de Coralie. c'est le 10 mars, jour de sa transplantation. Ce 10
mars 1994 où Coralie a été transplantée par le docteur Olivier Boillot, assisté
par le docteur Danielle GILLES, anesthésiste réanimatrice, à l'hôpital Edouard
Herriot de Lyon.
Retour
|